dimanche 26 avril 2015

Michel WOHLFAHRT a écrit,...







Cette nuit j’ai rêvé que je mangeais le cul d’une poterie en terre cuite, j’avais dans ma bouche un goût de brique pillée...


J’ai découvert Cliousclat pour la première fois l’été de 1968.

J’avais 19 ans, et venais de finir mon apprentissage de potier à Betschdorf en Alsace ainsi qu’une année aux Arts Décoratifs de Strasbourg.

C’étaient mes premières vacances depuis bien longtemps.  J’ai passé un mois dans une brasserie à mettre des bouteilles dans des caisses, le temps de gagner assez pour me payer une vieille moto Peugeot.

Alors deux jours durant j’ai roulé, 700km, assis sur la selle. J’avais mal au cul.  Au petit matin, entre Montélimar et Dieulefit, le parfum des lavandes distillées m'enivrait.

Arrivé à Dieulefit, j’étais en stage  chez Olivier  Poton, un potier qui faisait de la terre vernissée au décor de chapelle romane.  Le mois d’août, au soleil, il y avait plein de monde ; partout 68 était devenu culturel. On avait passé le printemps  à manifester et en été tout est devenu théâtre, chant et poésie.

Je ne sais plus pour quel motif Olivier - le potier inspiré par les chapiteaux de Cluny, m'avait  envoyé à Cliousclat.

J'avais connu plusieurs ateliers traditionnels déjà, vu toutes sortes de productions.  Moi-même j'avais tourné pendant une année entière des mangeoires à lapin.

Mais à Cliousclat, je suis tombé sur une gaieté liée au travail que je ne connaissais pas.

J’ai trouvé une poterie en fête !  Des couleurs joyeuses, vernis et formes qui s’inspiraient et fredonnaient la vie. La production de l'atelier de Philippe Sourdive proposait une réinterprétation nouvelle et chaleureuse des traditions céramiques populaires, insufflée d’ une passion et d’un amour pour des poteries retrouvées.

Je voyais dans cet atelier, posé sur une étagère, un pichet à lait alsacien d'une douceur féminine bien plus authentique que ceux produits à Soufflenheim.

Les yeux ébahis, je retrouvais le reflet de toutes les poteries que j'avais connues dans différentes régions et bien d'autres encore. Dans ce magasin, j’ai eu la sensation de me trouver dans un musée où tout était neuf, éclatant, éblouissant. J'étais émerveillé par le scintillement amoureux et défiant du temps passé.

L’hiver venu, je suis retourné à Cliousclat.
J’avais froid. Le magasin était fermé. Tout semblait désert, vide, sans vie, sans bruit. Un de ces 5 heures du soir où tout est solitude sombre.
Et puis, j’ai remarqué une pauvre lumière dans l'atelier au-dessus du tour, les 25 watts … clair obscur dans un dénuement cistercien dessinant l’atmosphère païenne d'un temple aux cérémonies d'argile…

être ce qu'on réalise …

J'ai toujours été un étranger.

J’avais rencontré Philippe Sourdive qui me connaissait bien mieux que je ne le connaissais.

A 20 ans, j'avais mon atelier. Je brûlais les étapes.  J’étais marié, j'avais un enfant.  Je voulais une petite maison au bord d'une rivière, faire des pots, voir les enfants courir dans les prés…  Et puis je me rendais compte que la vie n’était pas comme ça.

Un jour Philippe est venu me voir.
Il avait l'intention d'acheter une poterie à Soufflenheim, Il m'a proposé de remonter dans mon pays et de travailler dans cet atelier où il viendrait de temps en temps décorer des plats et des pichets. J'ai été tenté par sa proposition.  C’était un autre village que celui de mon apprentissage. Un village gai qui fait des moules à gâteaux, des casseroles, tout pour la cuisine, pour y mijoter de bons plats. Mais j'avais trop de rancœur d'une adolescence douloureuse pour retourner en Alsace.

J’étais encore convaincu que le sud était en quotidiennes vacances.

Je pense que Philippe a regretté ma décision.
Il voyait en moi, compagnon potier, la capacité de faire le lien entre le passé et le présent.
Moi, j’étais dans une douce folie juvénile, prétentieux de maîtriser ma vie de potier.

Si je m'intéresse aujourd'hui au futur de Cliousclat, c’est que j'ai une dette.
Une dette envers la tradition, la poterie que j'ai quittée, sacrifiée, sans jamais la renier.

J'aimerais que d'autres encore découvrent les yeux émerveillés tout ce flamboyant trésor des poteries populaires réalisées au présent avec le savoir-faire du passé. 
La Poterie de Cliousclat ouvre ses portes, son foyer, son cœur.
D'autres ateliers accueilleront jeunes artistes  et artisans sortis d'écoles de céramique pour les soutenir dans les premiers pas d'une vie active.  


Poterie populaire, appelée  commune car quotidienne, simple, indispensable.
Poterie commune, aujourd'hui, sera la poterie de la commune de Cliousclat !

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